Tuesday, November 30, 2010

Le maître du thé

    Vous vous attendez peut être à ce que je vous parle d'un vieil homme aux longues moustaches et au sourire malicieux. Aujourd'hui, je vais aborder un être bien plus capricieux: le véritable maître du thé, celui qui, chaque années, sur chaque parcelle de la terre, va déterminer les variations du thé.

Ce grand maître: c'est la Nature.

Tonnerre de Zeus sur Nan Nuo Shan!



 
  La sécheresse de 2010 l'a bien prouvé. La nature contrôle le thé. Les hommes peuvent aller dans son sens ou s'y opposer. Ce qui est sûr, c'est que la nature ne peut pas avoir tort. Peut être qu'au contact des minorités ethniques, je deviens profondément animiste.

Gua Feng Zhai

    Une tasse de thé est le fruit d'une collaboration de l'Homme et de la Nature. Pour certains thés, la nature n'a que peu de choses à dire (thés aromatisés, mélanges à grande échelle...). Le Pu Er cru est un des thés les plus proches de la nature. En effet, la manufacture est très simple et avec un peu d'expérience, on pourra distinguer le goût des différents terroirs. Voilà aussi pourquoi le Pu Er est un thé aussi complexe et varié. Chaque théier dispose de son propre environnement. L'Homme peut le façonner dans une certaine mesure mais ne pourra jamais changer la pente, le type de sol ou l'altitude d'un champs.

Nan Nuo Shan au crépuscule

  
En plus de l'environnement, la météo, elle aussi, affecte le goût du thé. La pluie est le principal acteur. En résumé, le théier a besoin d'eau, comme tous les végétaux, il faut donc une minimum de pluie pour assurer son développement. Cependant, trop de pluie donnera un mauvais goût au thé. Un goût caractéristique des thés d'été. Dans le Banna, on appelle cela le Yu Shui Wei (雨水味, le goût de la pluie). La liqueur est « faible », un arôme particulier étouffe le Pu Er, le thé peut être légèrement acide et astringent... bref, un excès de pluie n'est pas recommandé.

Quelque part sur Yi Wu

   Ce Yu Shui Wei est d'une part dû à un développement rapide des feuilles. Celles ci n'ont pas le temps de se charger en matière aromatique.

la passion: le fruit du thé

   D'autre part, le thé met beaucoup plus de temps à sécher. Si l'eau reste trop longtemps dans les feuilles, le thé aura un goût acide. C'est un peut comme du linge humide qu'on laisserait trop longtemps dans la machine à laver. Beaucoup de producteurs n'ont pas les infrastructures nécessaire à un bon séchage.
Long Pa, You Le Shan

   Le printemps 2010 a été très sec, ce qui donne de mauvais rendements mais un thé de bonne qualité, c'est une année plutôt bonne pour les amateurs. A l'inverse, il n'a pas cessé de pleuvoir en été et en automne. Les averses très régulières ont eu pour conséquence beaucoup de mauvais thé. On trouve des exceptions mais il faut être prudent dans le choix des Pu Er d'automne 2010.

Nuo Gan, Jingmai Shan
   
Le goût du Pu Er connaît donc des variations saisonnières: le printemps donne le thé le plus puissant et le plus cher, le thé d'été est très bon marché et très souvent destiné à être fermenté, enfin, le thé d'automne est moins coûteux que le thé de printemps et peut donner de très bons résultats. Les Pu Er les plus recherchés sont donc les thé de début de printemps et ceux de fin d'automne.

Un automne à Mengsong
 
  Comment savoir de quand date notre thé? Avec beaucoup d'expérience, cela peut se déduire de l'apparence des feuilles: le thé d'automne est souvent plus jaune que le thé de printemps. Cela dit, l'aspect du thé varie beaucoup selon les terroirs et il faut vraiment beaucoup d'entraînement. La méthode la plus simple, bien que pas infaillible, est de regarder la date de pressage, marqué au tampon sur le papier de la galette, au dos. En général, le thé est compressé quelques semaines après la récolte mais ce n'est pas une règle stricte. On peut très bien laisser vieillir le thé en feuilles entières pour l'adoucir ou faire sortir une mauvaise odeur.

Jingmai Da Zhai
   
    La Nature est bien complexe et le Pu Er cru n'est pas épargné par les variations saisonnière et annuelles. C'est pour ça que je l'aime, c'est un thé que l'on peut étudier des dizaines d'années. Ce rapport à la nature donne un caractère insaisissable au Pu Er: rien n'est évident. Même les buveurs les plus expérimentés peuvent se faire piéger par la Nature, elle est le maître des maîtres.

Nan Nuo Shan

Thursday, November 25, 2010

Man Nuo

Find this article in English on my website


    Il est de ces endroits comme Lao Ban Zhang ou Yiwu dont le seul nom provoque des réactions hystériques chez certains amateurs. Si je vous dit « Man Nuo »?

    Ce nom n'aura surement aucun effet sur vos neurones. Man Nuo est situé au nord de Menghai, perdu dans les montagnes, aux alentours d'une petite ville appelée Mengwang.
Le Nord du Banna est très différent du Sud
    A Menghai, ce village alimente quelquefois les conversation, il reste portant méconnu de la plupart des amateurs de thé. En effet, Man Nuo est le seul village de ce secteur à posséder de vieux théiers. Le gouvernement local favorise le développement de la culture d'hévéas et de bananiers. J'ai découvert cet endroit tout à fait par hasard à la suite d'autres aventures...

Man Nuo
    Man Nuo est occupé par les Bulang. Cette minorité vit principalement dans le sud ouest du Banna mais on en trouve occasionnellement dans le nord. Les Bulang sont les cultivateurs de thé par excellence. Je n'ai jamais traversé un village Bulang sans croiser des feuilles de thé faisant bronzette dans la cour d'une maison.
    Man Nuo a quelques particularités. Tout d'abord, on y croise très peu de Tai Di. En tous cas pas aux alentours du village. La quantité de vieux théiers n'est pas impressionnante: ce village ne produit pas autant de thé que Ban Zhang, Jing Mai ou autre Lao Man E.

On trouve peu de ce genre d'arbre aux alentours du village
Un arbre de taille moyenne pour Man Nuo
    L'environnement est assez singulier: les vieux théiers sont en zone défrichées, très exposés au soleil. Ils sont plus espacés que la moyenne et beaucoup atteignent une belle taille. Le seul élément de biodiversité notable est la forte présence de bambou

bambou, bananes et riz...
    Certains théiers poussent au milieu d'autres cultures. Il semble que les habitants de Man Nuo aient peu de place pour se développer.
Ici, on ne perd pas de place!

    Enfin, on trouve, dans ce village, pas moins de quatre variétés de théiers: de petites à très grandes feuilles. Cela donne un mao cha très éclectique et un thé peu commun.

    On trouve très peu de thé venant de Man Nuo, comme j'ai visité ce site en été, je n'ai pas pu ramener de bons échantillons.


    Man Nuo est un exemple de Gushu moins cher que les terroirs connus. C'est là aussi l'avantage de vivre dans le Yunnan. Peut-on trouver un thé de Man Nuo en Europe? À Pékin? Rien n'est moins sûr...
Le roi de Man Nuo

Saturday, November 20, 2010

Naka

Find this article in English on my website


     Naka est un village Lahu célèbre mais peu de gens savent exactement où il se trouve. C'est un endroit assez reculé qui n'apparait pas sur toutes les cartes. Pour faire simple, entre Menghai et Jinghong, il y a Nan Nuo Shan au sud et Mengsong au Nord. Au nord ouest de Mengsong se trouve le point culminant du Xishuangbanna, à 2400m. Naka se trouve sur la façade nord de cette montagne.

Le toit du Banna


Rizières sur les plateaux

    C'est un village particulièrement difficile d'accès car la route est mauvaise et la petite ville la plus proche est à une heure de moto. Par temps de pluie, le village est isolé. Comme dans beaucoup de villages Lahu, les habitants sortent peu. La plupart ne parle pas un mot de mandarin et l'isolement géographique de Naka n'arrange pas les choses.

Naka vu de loin
    Pourtant, Naka est un petit coin de paradis. L'air y est d'une pureté enivrante et le paysage est magnifique. L'altitude faisant, l'environnement est assez différent du reste du Banna. Le village est à mi-pente, au milieu des théiers.
Naka vu de près
    La moitié des champs de thé est occupée par de grands théiers qui poussent en forte concentration, comme à Hekai, Jingmai ou Banzhang. Ils forment une véritable jungle. Peu de biodiversité, ensoleillement maximal et pente assez importante. Le champ de Gushu est bordé par une forêt peu entretenue où les locaux vont chasser leur gibier.






    En contrebas et aux abords du village, plusieurs plantations: des jeunes et des vieilles... On compte grosso modo une moitié de Tai Di et une moitié de Gushu à Naka. Les plantations de Naka se vendent plus cher que la moyenne. D'une part parce que l'altitude est élevée, d'autre part parce que beaucoup de théiers ont plus de quarante ans. C'est donc un Tai Di de qualité supérieure et cela se confirme en goutant les échantillons. Même s'il n'égale pas le Gu Shu, le Tai Di de Naka et de la région en général est très appréciable.
Admirez la biodiversité ambiante



    Quand on se promène dans le marché du thé, on croise beaucoup de galettes nommée Naka (那卡). Il semble que beaucoup de manufactures du nord de Menghai aiment donner ce nom à leur thé. Encore une fois, il faut faire attention aux appellations trompeuses.
Les galettes du haut mentionnent Naka alors qu'elles sont en fait produites à Mengsong
     Qu'est ce qui fait la réputation de Naka? Surement l'alliance de l'amertume et de la puissance aromatique du Nord. En général, les thé aromatiques (Nan Nuo, Wu Liang, Mengku...) s'opposent aux thé plus profonds que l'on boit pour les sensations en bouche et dans le corp (Bulang, Yiwu...). Ici, un peu comme à Jingmai, les deux pôles se rencontrent dans une même tasse. Le thé de Naka est un de mes préféré.

Sunday, November 14, 2010

Bulang Shan

Find an English new version of this article on my website




    Bulang Shan est une petite ville située au sud de Menghai, à une poignée de kilomètres de la Birmanie. Bien qu'elle soit déservie par deux bus quotidiens, cette petite ville est sans doute la plus reculée du Banna.


    La route pour se rendre à Bulang est très agréable pour les yeux, un peu moins pour le dos. On y traverse plusieurs villages typiques Bulang et de très jolis paysages. On se sent tout petit par rapport à l'immensité de la forêt. C'est un trajet que je recommande pour les touristes de passage.


    Cette région du Banna est particulière. On sent la distance avec la ville et la proximité avec la Birmanie. Les trafiquants de drogue sont aussi assidus que les amateurs de thé dans cet endroit mystique.

Bulang Xiang
    La plupart des Bulang du Banna vivent dans cette région. On y compte de nombreux villages. Il me faudra beaucoup de visites pour les explorer tous. Cette fois ci, j'ai choisi de me diriger vers la frontière, au sud ouest.
Xin Nan Dong, route de Menghai
     Le long de la route, on aperçoit des plantations, encore des plantations, toujours des plantations. On pourra croiser quelques grands arbres aux alentours de Xin Nan Dong mais rien de bien impressionnant.

Arbres à Ku Cha

     Dans le sud ouest de Bulang, très peu de biodiversité. Les villages, par contre, sont très préservés. Malgré l'éloignement de la zone, les locaux sont très accueillants, même si beaucoup parlent très mal mandarin. J'adore la mentalité des gens dans ces zones reculées, on est loin de la Chine...

Lao Zhang Jia
    Quand on quitte la route de Menghai, cela devient très chaotique. C'est presque plus confortable de se déplacer à pied qu'en 4x4.

Vive la DDE!

    15 kilomètres plus tard, arrivée à Lao Zhang Jia. Ce village est magnifique. Dans le creux d'une montagne, entouré de forêt conservée et ouvert sur une vue splendide de la vallée Sino-Birmane.

Architecture typique du Sud du Banna
La vallée marque la frontière entre la Chine et la Birmanie
    Cette zone est en majorité occupée par de jeunes arbres allant de 1 à 40 ans. Chaque année, on en plante de nouveaux. On pratique aussi le bouturage: les villageois vont chercher des arbres à Ku Cha (thé amer) en Birmanie, à deux heures de moto, puis les plantent aux alentours du village.

Tai Di en folie!

Boutures de Ku Cha plantées récemment

    La plupart des grands arbres de cette zone produit du Ku Cha, ce thé particulièrement amer qui fait la réputation de Bulang. Il faut bien garder en mémoire que c'est une variété de théier particulière. Un thé de Bulang n'est pas forcément plus amer que d'autres terroirs.

高山云雾出好茶

    Par contre, ce qui est notable dans les thé du sud ouest du Banna, c'est le Huigan très profond.
    Le Huigan, c'est cette sensation agréable au niveau de la gorge. Assez difficile à décrire, un peu comme si la gorge envoyait des arômes vers le palais. On déguste le thé depuis l'intérieur du corps en quelque sorte. Dans les thés de qualité, cette sensation peut persister plusieurs heures. C'est en partie ce qui fait la réputation du terroir de Lao Ban Zhang.

Tuesday, November 9, 2010

Un matin à Banpen

Find this article in English on my website


    En général, on récolte les feuilles pendant la journée puis les traite à la tombée de la nuit. Pour des raisons pratiques, il arrive que certains producteurs fassent la manufacture le matin. Voici un petit exemple, dans le village Lahu nommé Banpen, à deux pas de Lao Banzhang.


    Dans ce village, il n'y a que trois ateliers de traitements. Ils achètent les feuilles fraîches aux autres familles puis les traitent dans leurs grands ateliers. Ce modèle permet un traitement plus rigoureux des feuilles, qui sont accueillies dans de belles infrastructures.

    Les feuilles fraiches ont patienté toute la nuit. Leur heure est venue...


    Tout d'abord, on met les wok à chauffer. Le contrôle du feu est très important, trop et les feuilles risquent de cuire au fond du wok; trop peu et la réduction sera trop lente. J'adore ce moment où la fraicheur matinale se fait oublier au coin du wok. La nature s'éveille lentement, le chant des oiseaux s'associe au crépitement du feu...


    On traite les feuilles fraîches par fournées de deux ou trois kilos. Le sha qing fait en wok va durer quelques minutes. Chaque personne a sa technique: certains le font à feu doux, en brassant lentement les feuilles, d'autres préfère une température plus élevée et remuent énergiquement les feuilles.


    Une odeur magique se dégage, on peut la retrouver quelquefois dans de très jeunes thés. Ce parfum végétal est aussi un repère pour l'artisan. Il faut savoir arrêter le sha qing au bon moment. Pas assez et les feuilles auront un goût végétal caractéristique couplé à de l'acidité; trop et elles auront un goût de brûlé. Il n'y a pas de chronomètre, tout se fait à l'oeil et au toucher.


    Ici, l'artisan n'utilise pas de gants, je me demande bien comment il fait. Le wok est très chaud et il faut presque en toucher le fond pour éviter que des feuilles ne prennent sur les parois. Même avec des gants, cela reste délicat. Il faut de l'entraînement pour ne pas se brûler. On ressort souvent trempé de sueur d'une séance de sha qing. Quand on manufacture à la main, il faut vraiment donner de sa personne pour obtenir un bon thé.

    Quand on sort les feuilles du wok, elles sont légèrement poisseuses, il faut s'assurer que l'eau s'évapore au maximum. On éparpille les feuilles sur une grande natte en bambou tressé. Après quelques minutes de repos, on passe à l'étape du roulage. Ici, les feuilles sont d'abord passées dans une petite machine à rouler puis elles sont massées à la main.


    Une fois le roulage terminé, place au séchage. Dans cet atelier, un bâtiment lui est spécialement consacré. Les feuilles sont légèrement roulées à nouveau afin de d'obtenir un mao cha agréable à l'oeil. Elles sont ensuite étalées dans des jattes puis mises à sécher sous un toit transparent.


    Les feuilles vont rester ainsi jusqu'à ce qu'elles soient suffisamment sèches. Cela dépend beaucoup de la météo. Si le ciel est dégagé, elles seront retirées le lendemain.

 
...

 
Le soleil est maintenant haut dans le ciel, les cigales chantent, les habitants boivent la soupe matinale dans la rue, les premières cigarettes s'échangent... un autre jour s'est levé sur Banpen.