La voie du thé est longue, comprendre le Pu Er n'est pas facile. Même si on y met tout son coeur, il faut de nombreuses années pour savoir décortiquer les arômes, reconnaître les terroirs, ouvrir son corps au Qi du thé...
Le thé s'apprend surtout dans un Gaiwan, il n'y a pas vraiment de secret, pour progresser dans la voie du thé, il faut goûter de nombreux thés. Je ne parle pas de dizaines de thés, ce n'est pas suffisant. Il faut bien quelques centaines de galettes pour avoir une petite idée de ce qu'est un terroir, comprendre la manufacture, estimer l'âge d'un vieux thé...
Le thé, c'est beaucoup de dégustations et peu de conclusions.
Quand on débute, on a l'impression de pouvoir distinguer les terroirs, on goûte un thé, on en retient les arômes, les sensations en bouche et on garde en mémoire sa provenance. Le problème quand on débute (et même après), c'est qu'on pense que le thé, c'est simple.
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Percevoir les arômes, c'est comme voir le ciel depuis une maison Dai... |
Par manque d'expérience, on tend à tirer très vite des conclusions du genre: c'est aromatique donc c'est un Pu Er de Mengku, c'est amer, cela vient de Lao Man E...
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... avec l'expérience, on y voit plus clair... |
Quand on débute, on pense en connaitre un rayon sur le thé, tous nos amis nous disent que l'on est un expert parce qu'on sait faire la différence entre un Tie Guan Yin et un Bi Lo Chun.
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... on ouvre plusieurs pistes mais il faudra beaucoup de temps pour affiner sa vision |
Le monde des Pu Er est beaucoup moins facile: deux Pu Er se ressemblent plus que deux thés verts, leur arôme est plus complexe. Au début, on a l'impression de boire les mêmes choses puis peu à peu, on y voit plus clair.
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En y mettant tout son cœur, on peut pourtant apporter plus de lumière |
Quand je venais juste d'arriver en Chine, je trouvais que tout le monde se ressemblait, j'avais l'impression de voir les même personnes partout. Après avoir croisé des centaines de gens par jour, j'ai enfin pu différencier les visages. Pour le Pu Er, c'est pareil sauf que comme on ne boit pas des centaines de thés par jour, quelques semaines de pratique ne sont pas suffisantes.
Le débutant doit prendre garde à ne pas tirer trop de conclusions des premières dégustations. L'important si l'on veut comprendre le Pu Er, c'est d'en gouter beaucoup et de garder l'esprit ouvert. Quand on tire une conclusion, il est trop tard pour apprendre. Surtout quand on n'a pas les moyens de connaître la vérité.
Si l'on veut commencer à y comprendre quelque chose dans les appellations barbares des galettes, je pense qu'il est important de connaître les noms des principales montagnes et villages producteurs de thé. Ensuite, au fil des rencontres avec nos chères galettes de Pu Er, on pourra porter notre attention sur plusieurs éléments afin d'en apprécier toute la richesse.
Globalement, je dirais que dans un jeune Sheng, on peut prendre en compte trois paramètres pour analyser le terroir:
1- le goût de la région: Mengku, Feng Qing, Yong De, Jing Gu, Jing Mai, Wu Liang, Yi Wu, Bulang, Mengsong, Nan Nuo...
Les régions ont des caractéristiques globales, à mon sens surtout au niveau des sensations en bouche. Il faut porter attention à ce qui se passe dans la gorge, sur le palais, sur la langue... Par exemple, les thés de Bulang ont un Hui Gan très profond: les sensations dans la gorge sont très agréables.
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Xin Man E, Bulang Shan |
Pour les thés d'Yiwu, je dirais qu'ils provoquent souvent un assèchement doux de la bouche. On peut aussi noter des effets dans les gencives et à l'entrée de la gorge. Leur texture est assez lourde en bouche, ils s'écrasent sur la langue comme du pétrole brut.
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Yi Wu Xiang, Yi Wu Shan |
Un thé de Mengku sera, au contraire, plus aérien, semblable à de l'essence, du parfum. Les effets se concentrent dans le haut de la bouche, ce genre de thé est probablement plus apprécié par les palais européens.
2- le goût du village/de la plantation
Au sein d'une même montagne, on trouve souvent quelques dizaines de villages. Leur thé partagent en général un goût commun mais en affinant un peu, on peut trouver des différences notables entre les différentes plantations. Entre les différents champs de thé, on note des différences d'altitude, d'ensoleillement; de pente, de biodiversité, de type de théier (grandes/ petites feuilles, Ku Cha...)
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Ban Po Lao Zhai, Nan Nuo Shan |
Prenons la région de Ban Zhang pour exemple: On fera facilement la différence entre un Lao Man E à l'amertume prononcée et caractéristique; un Lao Ban Zhang à l'amertume modérée, plus aromatique et au Cha Qi puissant; et un Hekai qui offre peu d'amertume mais un Huigan intense et des arômes discrets mais complexes. Sur cet exemple, la différence se fait principalement sur le goût, à savoir ce que l'on ressent avec la langue.
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Man Mai, Hekai |
Dans certaines régions, la différence se note plus dans les arômes: ce que l'on ressent avec le nez. Par exemple, dans la région d'Yiwu, on fera facilement la différence entre un Mahei et un Yi Bang. A Mahei, les feuilles sont très grandes, l'arôme est beaucoup plus discret et profond qu'à Yi Bang où
poussent plusieurs variétés dont une bonne partie à petites feuilles. Ce thé sera plus aromatique mais moins profond, moins lourd en bouche.
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Ma Hei, Yi Wu Shan |
3- le goût du producteur
Chaque personne a son tour de main, sa propre parcelle de théiers, son matériel pour manufacturer. Certains font le thé en Sha Qing Ji , d'autres en Wok.. Les variations se note surtout au niveau des arômes et de la qualité générale du thé. Il peut y avoir des notes fumées dans le thé, un sha qing trop poussé (notes de brûlé) ou pas assez (notes végétales). Comprendre cette facette du terroir, c'est comprendre la manufacture du thé et tous les problèmes qui y sont associés. Bien sûr, un bon fournisseur ne devrait offrir à la vente que des thés correctement manufacturés.
Ces descriptions sont très approximatives, il faut gouter beaucoup de thés et se faire son propre avis. Chaque palais est différent, chaque personne mange une nourriture différente. Depuis que je vis dans le Yunnan, je suis beaucoup moins sensible à l'amertume et au pimenté mais le moindre grain de sucre fait exploser mes papilles.
Il est amusant de déguster plusieurs thés issus de terroirs différents, à la suite ou en parallèle. Cela permet de clairement constater les différences de goût
Il faut aussi faire attention aux appellations incorrectes. Ne pas prendre pour argent comptant ce qui est marqué sur la galette.
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Chen Sheng Cha Chang, Lao Ban Zhang |
Le prix du thé est déterminé par l'offre et la demande. A savoir par le prestige d'un terroir. D'un côté, il y a des terroirs où il faut mettre le prix pour avoir la vraie qualité, de l'autre, on peut trouver des thé honnêtes pour pas trop cher.
De manière générale, les thés de Lincang et de Pu Er sont moins chers que les thés du Banna car ils sont moins prestigieux. Cela ne veut pas dire pour autant qu'ils sont moins bons. Peut être plaisent t-ils moins au palais consommateurs, peut être que les habitants du Banna font une meilleure promotion de leur thé...
Le marché du Pu Er est influencé par le commerce tout comme le sont les vêtements, l'art, les aspirateurs... L'économie est un paramètre à prendre en compte lorsqu'on veut comprendre le thé.