Wednesday, December 15, 2010

Thé et musique

   Le Pu Er a beaucoup de points communs avec la musique.Je vous propose de nous pencher sur ce qui unit ces deux domaines...


   Ces deux domaines peuvent être élevés au rang d'art.

   Composer un Pu Er, c'est un peu comme composer une grille d'accords, il faut trouver les notes qui vont bien ensemble. On peut mélanger le Pu Er tout comme les DJ mixent la musique. C'est un monde très libre, beaucoup de choses sont permises même si certains sont peu tolérants.

   Il existe autant d'arômes dans le Pu Er qu'il existe de sons d'instrument. On peut les modifier, les manipuler, les enrober. Certains n'utilisent que des sons purs: terroirs uniques. D'autres adorent les vibrations éclectiques des musiques électroniques.


   On peut tout créer mais tout ne sera pas acclamé.

   Dans le Pu Er, il existe des majors comme des petits labels, ils pressent tous des disques mais ils sont de plus en plus petits à cause de la montée des prix.

   Pour créer un bon morceau, il faut parfois chercher loin. On cherche au piano ou dans un vieil entrepôt. On hésite, on va voir, on se perd, on revient, on se repère...

   Pour trouver la phrase qui sonne juste, il ne faut pas avoir peur des fausses notes . Un accord raté et on déguste!

   En thé comme en musique, il n'y a pas de lieu dédié pour expérimenter. On peut trouver la note magique au fond d'un Gaiwan ou bien en tapant sur une table.



   Tout comme jouer de la musique, préparer un thé peut demander un certain savoir faire, chacun ajoute sa touche personnelle à l'œuvre, son propre Gong Fu. Ainsi, le goût du thé sera différent selon la personne qui le prépare. On peut tenter de standardiser sa méthode d'infusion, en prenant en compte beaucoup de paramètres: la façon de tenir le Gaiwan, les temps d'infusion, la température de l'eau, la quantité de thé. D'autres préfèrent tout faire au feeling. Certains sont Classique, d'autres Jazz...

   Infuser un thé, tout comme jouer de la musique, requiert une certaine notion du temps. Il faut sentir quand c'est prêt. Chaque personne ajoute un petit quelque chose à l'œuvre, sans que l'on puisse exactement le définir...

   Il n'y a pas une façon exacte de préparer un thé.



   Apprécier une musique peut se faire seul sur son canapé ou au milieu d'une piste de danse enflammée. On entre alors dans un univers très complexe.



   A mon sens, il y a différents niveaux d'appréciation, tout dépend du standard que l'on requiert à un moment précis. On n'attendra pas la même chose d'un thé au fin fond d'une montagne que dans un salon de thé. Des fois, je ne bois du thé que pour me réchauffer tout comme j'écoute de la musique pour avoir un fond sonore.

   Il y a aussi des moments où l'on se prépare à obtenir la meilleure expérience possible: préchauffage minutieux du Gaiwan, matériel impeccable, tri des feuilles... Préparer un très bon thé peut demander du temps tout comme apprécier pleinement une musique peut demander des dizaines d'écoutes.



   On trouve aussi des similitudes entre Pu Er et musique dans la façon de progresser dans ces deux arts: développer son palais, tout comme développer son oreille, c'est surtout apprendre à porter attention.

   Comprendre le thé tout comme comprendre la musique nécessite une richesse sensorielle: écouter plusieurs instruments à la fois, repérer les interactions entre les musiciens, appréhender la richesse aromatique d'un thé, être sensible aux effets dans la bouche, dans la gorge, dans le corps...



   Cela requiert aussi une richesse culturelle: être capable d'identifier le terroir d'un thé d'après ses qualités organoleptiques, c'est comme donner le nom d'un musicien d'après sa façon d'improviser par exemple. Il faut avoir gouté beaucoup de thé de plein de terroirs, avoir écouté beaucoup de morceaux. Bref, il faut de l'expérience.


   Si la richesse sensorielle peut être plus développée chez certains (oreille absolue, palais très fin...), la richesse culturelle ne peut pas être innée. Les deux pôles de compétence peuvent être enrichis au fil du temps...




   Enfin, il y a cet élément difficile à décrire provoqué par la musique et le thé: le feeling
En musique, on peut l'appeler le groove, le swing, le duende. On le nomme le Chaqi ou tout simplement le feeling (感觉) dans le monde du thé chinois. C'est presque un sixième sens qui est titillé. La puissance de ces effets n'est pas forcément liée à la violence en bouche (amertume, astringence) ou à la violence à l'oreille (dissonance, tempo élevé...).

   Les thés d'Yiwu ont un effet assez puissant sur moi, il ne sont pourtant pas très agressifs en bouche. Il semble que ces sensations varient selon les buveurs et les périodes.



   Un différence pourtant, entre la musique et le thé: L'expérience... Combien de morceaux de musique avez vous écoutés dans votre vie? Combien de thés différents avez vous bu?

   Pour des raisons matérielles, il est bien plus facile d'être pointu en musique que de comprendre le thé.

   Cela dit, ces deux milieux sont très riches et dans les deux cas, il faut se spécialiser ou se contenter d'une approche superficielle. Il est impossible d'écouter toutes les musiques tout comme il est impossible de comprendre tous les thés du monde.

   J'adore mélanger mes deux passions. Boire du thé en écoutant de la musique est mon plus grand plaisir!

                     
                         Le thé est une musique qui se boit...

Monday, December 6, 2010

Carte des montagnes à thés 2.0

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Voici une nouvelle carte du Banna, avec plus d'informations. Cliquez dessus pour l'agrandir.

Les petits points sont des villages, les gros représentent de petites villes (appelées Xiang 乡)

Vous me pardonnerez les approximations.

En traînant sur Google Earth, je viens de me rendre compte que le Banna est à environ 2500 km de Beijing... mais aussi à 2500 km de New Dehli, de Singapour et d'Urumqi (la capitale du Xinjiang), un beau carrefour des cultures...

Thursday, December 2, 2010

Manufacture: le Sha Qing Ji

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    Après avoir cueilli les feuilles fraîches, la première étape de la manufacture consiste à réduire les feuilles, ce process se nomme le Sha Qing. On peut le réaliser soit à la main, dans un grand wok, soit à l'aide d'un Sha Qing Ji. Cette « machine à Sha Qing » est l'objet d'étude de cet article.

    Il existe plusieurs modèles de Sha Qing Ji: des gros, des petits, des longs, des courts...

Sha Qing Ji de taille standard, Jing Mai Shan


Sha Qing Ji venu du Fujian, peu commun dans le Banna, You Le Shan


Vieux Sha Qing Ji, aux alentours de Naka



Artillerie lourde, usine de traitement de Mengsong
     Dans le Banna, l'usage du Sha Qing Ji est très répandu , surtout dans la région de Menghai. La plupart du Tai Di est traité dans cette machine. L'avantage est de pouvoir manufacturer une grande quantité de feuilles en minimisant la durée et l'effort.



    Le travail est environ quatre fois plus rapide en utilisant un Sha Qing Ji de taille moyenne. D'après un producteur de Jingmai, en dix minutes, on peut traiter 8 kg de feuilles à la main contre 40 kg en machine.

    Comment fonctionne un Sha Qing Ji? C'est assez simple: c'est un tonneau rotatif chauffé au feu de bois.


    Le traitement est semi-automatisé: l'artisan contrôle la température et la vitesse de rotation. Sur le modèle le plus courant, l'éjection des feuilles se fait automatiquement grâce à des rainures à l'intérieur du tonneau.

    Contrairement au traitement en wok qui nécessite quelques minutes par fournée, la feuille qui passe dans le Sha Qing Ji est réduite en une poignée de secondes. Cela explique la grosse capacité de traitement de cette machine.

L'appareil photo a eu chaud!
     Le plus important pour l'opérateur est le contrôle du feu. Étant donné la faible durée de traitement, l'intérieur du tonneau doit être très chaud: le Sha Qing Ji est gourmand en bois.



    A la sortie du cylindre, les feuilles ont un aspect fort différent des feuilles traitées à la main. Leur aspect est beaucoup moins altéré: elles ressemblent encore beaucoup aux feuilles fraîches. Bien sûr, l'opération suivante -le roulage- va grandement transformer le visuel de la feuille.

A la sortie du Sha Qing Ji


    Un œil entraîné peut distinguer les feuilles traitées à la main des feuilles traitées en machine. Ces dernières ont un plus bel aspect.

    Pour le producteur, le Sha Qing Ji est plus pratique que le traitement manuel: moins d'effort, moins de temps passé à la manufacture. Pour le consommateur, le traitement en Sha Qing Ji assure un minimum de qualité: le risque d'avoir un thé raté est plus faible.

    Par contre, c'est un investissement coûteux. Bien souvent, dans un village, quelques familles disposent d'un Sha Qing Ji et achètent les feuilles fraîches aux autres, qui se contentent de récolter les théiers.

Les feuilles fraîches achetées aux autres familles sont traitées en fin de journée
     Beaucoup d'amateurs et de vendeurs préfèrent pourtant le thé manufacturé à la main. Ils le disent plus aromatique, plus endurant ou encore procurant de meilleurs sensations. Ce qui est sûr, c'est que le Sha Qing manuel permet un contrôle plus fin: on a un meilleur contrôle du temps de réduction, on peut brasser les feuilles plus ou moins énergiquement...

Gong Fu Cha!

    Faire le Sha Qing en Wok, c'est comme prendre des photos en mode manuel, le rendu peut être meilleur mais il faut une certaine maîtrise. Maîtrise que beaucoup d'agriculteurs n'ont pas, soit par pure négligence, soit par manque de formation.

    Toujours est t-il qu'une manufacture à la main semble être un argument de vente de choix. Est-il justifié? C'est à vous que je pose la question...